La seule partie du Général, c'est la France - interview avec Gérard Bardy

2021/07/19
Ecivitas slajder

Gérard Bardy, auteur du livre "Charles catholique. De Gaulle et l’Eglise" dans la conversation avec Marta Kowalczyk.

Quelle est la force du rapport entre religion et politique chez Charles de Gaulle ? 

Le Général de Gaulle n'était pas vraiment un homme politique et son engagement n'avait rien de partisan. Son parti, c'était la France. Sans l'arrivée de la Seconde guerre mondiale, il serait resté un militaire, un officier général actif et ambitieux mais loin du pouvoir politique. Son combat dans les années 30 avait comme but moderniser l'armée française face à la menace de l'Allemagne. Il demandait la création d'une armée blindée, moderne et efficace, pour faire face à l'ennemi héréditaire.

Par contre, il était profondément catholique depuis l'enfance. C'était un patriote catholique qui voyait la France comme une personne, une Madone des fresques, à la façon de Charles Péguy. C'était Notre-Dame la France, fille ainée de l'Eglise. Il voyait le départ de l'histoire de la France au moment du baptême du roi Clovis. Même devenu président de la République française, tout en respectant le caractère laïc de la République, il gardait des liens étroits avec le Vatican. Son fils, l'amiral Philippe de Gaulle, disait : "mon père marche sur ses deux jambes: son patriotisme et sa foi chrétienne". Nous verrons plus loin qu'il faisait une distinction entre la religion et les affaires de l'Etat.

« La perfection évangélique ne conduit pas au royaume », conclut de Gaulle. Il pourrait être réaliste ? 

Si de Gaulle était un croyant sincère, c'était surtout un pragmatique. Le gaullisme n'est pas un dogme, c'est un pragmatisme. S'adapter au monde et à ses réalités sans renoncer à ses valeurs et à ses convictions. Et puis, il avait un regard lucide sur la nature humaine qui, quand elle se fixe ľobjectif de la perfection évangélique, est aux prises avec des réalités, des tentations, des circonstances qui la détournent de son but. C'était un militaire qui faisait la différence entre la doctrine et la réalité.

Pour cette raison, cet homme d'un comportement rigide, au caractère inflexible, savait faire preuve de compréhension et de tolérance. En toutes circonstances, il disait que "c'est l'homme qu'il s'agit de sauver". Et il savait pardonner comme il l'a montré à la fin de la guerre en accordant sa grâce à celles et ceux qui avaient collaboré  avec l'ennemi. Pétri de culture classique, inspiré par plusieurs courants philosophiques, il admettait que toute vie d'homme n'est qu'"un petit tas de secrets misérables"...

De Gaulle s'est-il « simplement » fixé un objectif de sauver la France ? 

Seul contre tous, sans moyens, ni troupes, ni réseaux, ni argent, en juin 1940 il a désobéi au gouvernement français qui voulait arrêter la guerre pour, depuis Londres, continuer le combat sans savoir où conduirait son aventure. C'est à la fois fou et courageux. Son seul objectif, d'inspiration divine, était de libérer la mère-patrie et de sauver la civilisation occidentale des griffes du régime nazi. C'était pour lui beaucoup plus qu'une guerre ďun territoire. L'Europe aux racines chrétiennes ne pouvait pas sombrer dans la barbarie. Il y voyait un combat suprême, une cause sacrée. 

Il a quitté son commandement et sa famille pour désobéir. La volonté de sauver la France était si forte qu'il a tout quitté pour prendre la tête d'un combat très risqué. N'oublions pas qu'il a été condamné à mort par contumace et dégradé de ses fonctions de général. Lui pensait qu'il avait été placé là par la main de Dieu et il était prêt à donner sa vie, sans un ombre d'hésitation. 

Il n'avait ni soutien ni argent. Et pourtant il a fait prendre conscience aux masses de cette conviction que la Patrie est une réalité spirituelle. Comment a-t-il fait ?

Cette homme isolé, a utilisé la radio de Londres pour parler chaque soir, clandestinement via la BBC, aux Français qui ne voulaient pas arrêter la guerre contre l'occupant allemand. C'était alors un général inconnu mais la force de ses propos, la volonté qui se dégageait de sa voix, ont peu à peu redonné courage aux résistants. Il s'adressait à tous, de toutes les classes sociales et de toutes religions. Il soulignait l'intérêt supérieur de la France et en appelait à Dieu. Il envoyait des messages aux catholiques mais aussi aux juifs et aux musulmans pour créer un grand rassemblement patriotique.

Il comparait l'action de la France Libre à une croisade et citait Jeanne d'Arc qu'il montrait en exemple: "bonne et sainte Française" disait-il.  

La patrie des croisades et des cathédrales, la terre de St. Vincent de Paul et Jeanne d'Arc - c'est ici que de Gaulle en tant que président de la république laïque a dû subir l'hostilité de l'Église de France comme aucun autre chef. D'où a-t-il puisé sa force à l'époque ?

C'est vrai que de Gaulle a  été très déçu quand les responsables de l'Eglise de France ont refusé de le soutenir. Certains l'ont même combattu, le qualifiant d'aventurier. Les évêques étaient fidèles à Pétain. Beaucoup d'évêques, en 1940, avaient été les aumôniers militaires sous Pétain pendant la guerre de 1914-1918. Ils avaient confiance dans le vainqueur de Verdun. Seuls trois ou quatre évêques ont pris la parole contre les Allemands et le régime de Vichy après les premières rafles des Juifs. Un seul religieux important a rejoint Londres; l'ancien provincial des Carmes de Paris, le P. Thierry d'Argenlieu qui avait servi dans la Marine avant de faire le choix de la vie religieuse. De Gaulle a secrètement beaucoup souffert l'attitude de l'épiscopat mais il a dit que l'honneur de l'Eglise avait été sauvé par les prêtres et les religieux qui, avec les croyants, avaient fait un travail formidable en cachant des Juifs et en aidant les réseaux de la Résistance. 

A la fin de sa vie, le Général a senti et, on peut dire - fortement ressenti - l'avènement de la civilisation sans foi. Il craignait que le nouveau paganisme ne frappe les plus faibles, et que l'homme régnera sur l'homme.  Ses mises en garde et les méthodes de lutte contre une civilisation sans Dieu étaient-elles pertinentes ? 

Sur ce plan comme sur beaucoup d'autres, de Gaulle a été un visionnaire. Il redoutait une civilisation sans foi, c'est-à-dire sans valeurs partagées et sans autre boussole que le bien-être individuel. Pour cette raison le capitalisme financier et la mondialisation lui faisaient peur. C'est aussi pour cela qu'il refusait une Europe des technocrates et des banquiers et voulait une Europe des nations et des peuples, un continent fier et  jaloux de sa culture, de ses racines, de son héritage et de son patrimoine. Dès sa création, il a pensé que l'Union européenne prenait un mauvais chemin.

À la fin de sa vie, retiré dans sa maison de Colombey,  il était beaucoup préoccupé par ce nouveau paganisme. Il en parlait souvent, notamment lors de son dernier entretien avec André Malraux, onze mois avant sa mort, à Colombey-les-deux-Eglises. "Faut-il que la vie ait un sens" disait-il, avec une sorte de désespoir face à un monde qu'il voyait prendre un chemin dangereux. Je raconte ses doutes dans mon dernier livre "Dernières heures à Colombey - La mort du Général".

Pour cette raison aussi il avait salué les réformes du Concile Vatican 2, pour rapprocher l'Eglise du peuple de Dieu, mais tout en redoutant que le Pape se soit laissé entrainer trop loin dans ces réformes. De Gaulle avait mesuré dès les années 50 que  l'Eglise catholique perdait du terrain en Europe et que le renouveau tardait à venir. 

Il n'était pas un mystique. C'était un homme d'action et de la raison. Pourtant la foi de de Gaulle est un phénomène. 

De Gaulle était le contraire d'un mystique mais ses amis disaient qu'il avait une foi de Centurion. Il n'avait pas, semble-t-il, la moindre interrogation sur Dieu. Depuis l'enfance, sa foi lui dictait sa conduite personnelle et il considérait que l'enseignement de la religion devait être transmis aux enfants. L'homme faisait partie d'une grande chaîne et devait transmettre l'héritage reçu de la civilisation qui était la sienne. Dans le cas contraire, la civilisation perdait ses bases et une autre allait la remplacer tôt ou tard. On sait que dès les années 50, notamment dans des échanges avec André Malraux (pourtant agnostique), de Gaulle redoute le développement de l'islam au sein de la France et de l'Europe chrétienne. Le christianisme devait donc être fort pour résister à un islam conquérant. Voici la raison de son pessimisme.

Mais de Gaulle respectait totalement la liberté de croire ou de ne pas croire. Avec une analyse originale de la foi puisqu'il disait que s'interroger sur la présence de Dieu et sur la nécessité de croire, c'était déjà croire ! C'est-à-dire que toute interrogation sur Dieu mettait l'homme dans les pas du Divin.

Le général souligne que la France a sa « vocation ». Qu'est-ce que cela signifie exactement et est-ce une méthode de pratique de la politique pieuse ?

Par son histoire profondément liée à celle de l'Eglise catholique, par ses racines chrétiennes très profondes, la France était bel et bien pour de Gaulle la "fille aînée de l'Eglise". Dès juin 1944, alors qu'il n'occupait aucune fonction officielle, de Gaulle avait demandé ďêtre reçu au Vatican. Il avait expliqué au pape Pie XII que son but était de redonner toute sa place à l'Eglise catholique dans la France libérée. C'était naturel en fonction de l'Histoire. La France a vocation à être chrétienne même si la laïcité garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, et aussi de choisir sa religion.

D'ailleurs, pour respecter la laïcité de la République, le Général pratiquait sa religion dans la sphère privée, à l'abri des regards. Pour cette raison, il ne communiait jamais en public, sauf quatre fois à l'étranger et pour des raisons politiques locales. La dernière fois, c'était en septembre 1967 à Gdansk, en soutien à l'Eglise polonaise pendant la période communiste.

Il est important de souligner que de Gaulle chef d'Etat n'acceptait aucun ordre ou conseil venu du Vatican. Il exigeait une neutralité totale de la part de l'Eglise. Les bonnes relations avec le Vatican ne devait pas nuire à l'indépendance de la France. Les affaires de la France se réglaient à Paris et non chez le pape. De Gaulle voulait être maitre chez lui et l'a montré en faisant voter une loi sur la contraception, contre l'avis de l'Eglise. Cela a produit une brouille passagère avec le Vatican mais il n'a rien cédé.

La "vocation chrétienne" de la France était aux yeux de de Gaulle une vérité historique incontestable mais la gestion temporelle des dossiers n'avait pas a être dictée par une religion ou une autre.  

/eb

Zobacz inne artykuły o podobnej tematyce
Kliknij w dowolny hashtag aby przeczytać więcej

#gerard bardy #charles de gaulle #interview
© Civitas Christiana 2024. Wszelkie prawa zastrzeżone.
Projekt i wykonanie: Symbioza.net
Strona może wykorzysywać pliki cookies w celach statystycznych, analitycznych i marketingowych.
Warunki przechowywania i dostępu do cookies opisaliśmy w Polityce prywatności. Więcej