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Maciej Szepietowski s'entretient avec Chantal Delsol, l'auteur du livre „La haine du monde. Totalitarismes et postmodernité".
Dans votre livre «La haine du monde» vous remarquez que l’époque postmoderne, le XXIème siècle, a modifié les critères du bien et du mal. Comment faut-il le comprendre et quels sont les autres caractéristiques de la postmodernité?
La post-modernité contredit les idéaux de la modernité, qui étaient tournés entièrement vers le futur et vers le progrès. Au contraire la post-modernité voit dans l’avenir des catastrophes (climatiques ou autres), ne croit plus au progrès, et abandonne le temps fléché des Judéo-Chrétiens et des Lumières pour retourner à une vision du temps qui ressemble à celle des anciens païens: un temps cyclique, qui avance du chaos à l’ordre et de l’ordre au chaos dans un mouvement d’aller et venue – d’où l’angoisse actuelle du retour d’un chaos. Mais il y a autre chose. La post-modernité se déroule au moment de la fin de la chrétienté. C’est une rupture très importante: depuis 16 siècles nous vivions dans les principes de la Chrétienté. Ce sont les lois dites sociétales qui manifestent ce profond changement: lois sur le divorce, l’IVG, ou autres. Il y a là une véritable inversion normative, qui engage un profond bouleversement.
Comment peut-on reconnaître et maîtriser les corrélations dangereuses entre totalitarismes et postmodernité?
Je tiens à dire que je ne veux pas tenir nos sociétés pour «totalitaires». Je préfère que l’on garde ce mot pour les régimes nazi et communiste avec tout ce qu’ils ont comporté de terreur, d’arbitraire, de destructions des vies et des existences. Cependant, j’ai essayé de montrer que les buts du communisme – égalité, abolition des religions, matérialisme, collectivisme, dépersonnalisation etc- étaient poursuivis aussi par les régimes actuels. Ceux-ci n’utilisent plus la terreur, qui est dévalorisée, mais la dérision. Et c’est beaucoup plus efficace. Si vous voulez détruire la famille, il est plus efficace de ridiculiser les familles nombreuses comme l’a fait notre président Macron («trouvez moi une mère de famille de sept enfants qui soit éduquée») que de susciter la délation à l’intérieur des familles, comme sous le communisme. Idem pour détruire les religions.
Récemment, lors d’une conférence sur les droits de la femme, vous avez dit que «la démesure au sujet des rôles est le résultat de la folie d’une communauté égalitaire ; la société d’aujourd’hui attribue les rôles sur la base de fausses prémisses». Comment expliquez-vous ce processus?
Dans les sociétés précédentes, les rôles au sein de la famille étaient très spécifiés. Le mari devait gagner la vie et la femme s’occuper des enfants. Il est plutôt heureux que cette raideur se soit effacée: dorénavant, les femmes peuvent aussi avoir une vie professionnelle enrichissante et les hommes changent les couches du bébé sans en avoir honte. C’est une bonne chose. Pourtant je crois qu’il existe des rôles, parce que nous sommes différents. Le rôle du père n’est pas le même que celui de la mère. Et il est souhaitable aussi, je crois, de définir des rôles au sein de la famille, fondés sur le choix, parce qu’une société faite entièrement de fonctions est rapidement mangée par les querelles et par la paresse. L’erreur de nos sociétés égalitaires, c’est de croire que tous peuvent tout faire, qu’il n’y a que des fonctions. C’est faux je crois: la société ancienne exagérait dans l’autre sens, mais nous sommes tombés dans l’excès inverse.
Comment peut-on aujourd’hui, dans la vie sociale et dans le débat public, démontrer d’une façon convaincante l’importance des valeurs classiques que sont la vérité, le bien et le beau?
Ce sont des principes (je n’aime pas le mot «valeur» qui suppose quelque chose de relatif) assez malades! La vérité est un concept grec et judéo-chrétien, qui est en train de disparaitre avec la chrétienté, pour être remplacée par les mythes, dans lesquels vivaient les sociétés païennes d’avant la chrétienté. La beauté est, elle, universelle, et elle est aujourd’hui mise en cause par le courant de la déconstruction dont le raisonnement est le suivant: c’est maintenant le capitalisme (la publicité) qui produit la beauté, dont il faut par conséquent se débarrasser – l’art contemporain est un art entièrement idéologique et ignorant du beau, tout à fait comparable en cela à l’art du réalisme socialiste. Quant au bien, il est universel lui aussi, et aujourd’hui très présent dans des formes déviées de la chrétienté abattue: c’est l’humanitarisme à la place de l‘humanisme. Je n’ai pas de recette, loin s’en faut, pour restaurer ces principes, et je ne crois pas que ce soit possible en tout cas tels qu’ils étaient. Mais j’espère que les générations qui suivent reprendront ces formes pour les adapter à leurs époques.
A quoi devrait ressembler l’éducation moderne qui formerait des personnes responsables et intellectuellement indépendantes, libres des diktats idéologiques de la postmodernité?
L’idée de former des personnes responsables et indépendantes est une idée judéo-chrétienne. Rien que le fait de parler de «personne», c’est impensable en Chine ou en Inde, par exemple. Nous espérons tous pouvoir continuer à éduquer nos enfants dans la liberté, c’est-à-dire: leur confier à la fois le trésor de la culture et la capacité de critiquer. Cette liberté est un risque. Les parents, dans notre culture, sont de grands aventuriers!
Dans votre livre «La grande méprise: Justice internationale, gouvernement mondial, guerre juste...» vous dites que les vraies valeurs humaines sont aujourd’hui mises en dangers par l’ardeur du droit international. C’est une thèse très forte. D’où cette crainte?
Oui ces velléités de justice internationale et de gouvernement mondial me font très peur. C’est la porte ouverte à des despotismes. D’une manière générale, quand un gouvernement recouvre un trop grand ensemble, il devient despotique s’il n’applique pas la subsidiarité avec un très grand soin. Jacques Delors l’avait bien compris pour l’Europe, qu’il décrit en 1999 comme « un despotisme doux et éclairé ». Je ne veux pas de cela. A propos de la justice internationale il y a bien d’autres problèmes. Par exemple celui-ci : vous avez un tribunal international chargé de punir les crimes de guerres ou génocides, mais il ne s’attaque qu’aux faibles, parce que les forts sont trop menaçants. Il punit surtout les pays d’Afrique, qui sont faibles. C’est comme si la police de ville ne réclamait la carte d’identité qu’aux vieilles dames, qui ne risquent pas de récriminer, pendant que les voyous courent... D’une manière générale je suis opposée à une justice internationale qui en réalité est une police, puisqu’elle dépasse les souverainetés. L’Etat mondial dont certains rêvent remplacerait ainsi les armées par une police mondiale. C’est le pire des despotisme. J’ai eu beaucoup de critiques à propos de ce livre, et parfois des critiques extrêmement malhonnêtes, dans les cercles les plus européens. J’ai compris que j’avais touché quelque chose de très sensible. Mais j’espère avoir quand même contribué modestement à défaire cette folle idée d’un Etat mondial, dont on parle moins aujourd’hui qu’à la fin du XX° siècle.
Traduction: Konstancja Pikus
Coopération: Marta Kowalczyk
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